R.A.4. «De donner un avenir à l’Europe sociale»

Le Congrès a accepté de renvoyer cette résolution au prochain Comité exécutif pour discussion.

{{Le huitième Congrès de la FSESP convient : De donner un avenir à l’Europe sociale - Conditions pour un modèle économique et social alternatif pour l’UE}}

{{ 1. Accorder la priorité à la justice sociale dans l’Union européenne}}

1. Les citoyens de l’UE connaissent la plus longue période de paix de l’histoire européenne, qui dure maintenant depuis près de trois générations. En considérant cela comme acquis, nous en oublions le processus d’intégration européen dont la mission première consiste à assurer la paix, une paix dont nous jouissons depuis ses débuts au lendemain de la seconde Guerre mondiale.

2. Et pourtant, l’état du projet européen a de quoi inquiéter. La paix est bien plus que l’absence de guerre et de pouvoir militaire. La paix signifie également la paix sociale intérieure, incarnée par la justice sociale. Et sur ce point, l’Union européenne présente des lacunes considérables, qui ne font que s’aggraver. Le développement de la politique économique, sociale, salariale et fiscale dans l’UE provoque des tensions sociales dans les États membres. Une rupture avec la politique actuelle s’avère nécessaire de façon à ne pas compromettre la paix au sein de l’Union européenne. L’UE a besoin d’un modèle économique et social alternatif de toute urgence.

3. Avec le renforcement du processus d’intégration lié au marché unique et à l’union économique et monétaire et depuis l’élargissement de l’Union à l’Europe centrale et de l’Est, les citoyens de nombreux États ne considèrent plus l’UE comme un synonyme de prospérité croissante, de meilleurs revenus et de meilleures perspectives d’emploi. Bien au contraire, ils voient l’UE comme un vecteur de redistribution ascendante des revenus, de failles dans les systèmes de sécurité sociale, de réductions d’emplois et d’inégalité sociale croissante. Les citoyens de l’UE ressentent les effets des processus socio-économiques d’envergure:
-* un net déclin dan la proportion des rémunérations et salaires dans le produit national brut de l’UE-27, en particulier dans la zone euro,
-* une inégalité encore plus flagrante dans la distribution des revenus entre les pauvres et les riches à travers l’UE,
-* le développement d’un secteur à bas salaires avec une proportion croissante d’employés dans un emploi atypique et socialement non protégé à travers l’UE,
-* la réduction des indemnités pour les sans emploi, en particulier pour le chômage de longue durée, suite aux réformes libérales du marché du travail dans pratiquement tous les pays de l’UE,
-* le déclin de l’État providence en ce qui concerne les pensions de vieillesse et les soins de santé à travers l’UE,
-* une redistribution du fardeau fiscal en faveur des entreprises et des hauts salaires dans tous les pays de l’UE,
-* la réduction des emplois dans des entreprises dont le rendement des capitaux propres a au même moment fortement augmenté.

4. Ces développements sont essentiellement imputables au changement radical dans la politique économique et le modèle politico-social qui a débuté à l’échelon de l’UE avec l’Acte unique européen de 1987 et l’introduction d’un marché unique intérieur. Ces projets ont marqué la transition du keynésianisme au néo-libéralisme dans l’UE.

5. La FSESP considère qu’il y a aujourd’hui une urgence politique à s’opposer fermement au modèle économique et social néo-libéral ancré dans les traités de l’UE proposés à ce jour avec un modèle alternatif basé sur une Europe sociale. Ce n’est que de cette façon que l’UE sera en mesure de surmonter sa profonde crise de confiance actuelle. L’UE doit lutter pour une politique de plein emploi, encourageant les revenus, surmontant l’inégalité sociale, préservant l’État providence, abolissant les conditions d’emploi socialement non protégées et augmentant les droits des travailleurs et la démocratie industrielle. Ce n’est qu’en réalisant cette transformation sociale que l’UE pourra compter sur le soutien durable de sa population.

{{2. Refonte du modèle économique de l’Union européenne}}

6. Avec l’Acte unique européen (1987) et le Traité de Maastricht (1993), la philosophie néo-libérale est devenue une idéologie prépondérante dans le processus d’intégration européen. L’objectif défini dans l’Acte unique européen (AUE) était la réalisation d’un marché unique intérieur jouissant de quatre libertés fondamentales à savoir la liberté de circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux. Le Traité de Maastricht a marqué l’avènement de l’union économique et monétaire. En élaborant ces deux projets socio-économiques prioritaires, les pays de l’UE ont délibérément renoncé à la création simultanée d’une union sociale et fiscale et d’un système européen de négociation collective.

7. Les pratiques de dumping sont structurellement programmées dans la forme européenne d’union économique et monétaire, dans laquelle la devise demeure une compétence conjointe, c’est-à-dire européenne, à l’inverse des politiques salariales, sociales et fiscales qui demeurent expressément aux mains des États membres. Dans un tel système, les États nations se font concurrence pour les investissements de capitaux internationaux en jouant sur les coûts salariaux et sociaux et l’imposition des sociétés. L’union économique et monétaire européenne a déclenché une concurrence générale pour la réduction de la masse salariale, le déclin de l’État providence et la réduction de l’impôt des sociétés.

8. Cette forme de concurrence inter-États peut être désignée comme un système d’États concurrents. Le système d’États concurrents est une véritable locomotive pour la réalisation des objectifs du néo-libéralisme : l’État, et plus particulièrement l’État providence, peut être limité, les coûts salariaux et sociaux et l’impôt de sociétés peuvent être réduits et les forces du marché peuvent être débridées par le biais de la déréglementation et la privatisation.

9. En outre, les objectifs macroéconomiques du modèle néo-libéral sont réalisés dans la forme européenne d’union économique et monétaire. Le Traité de Maastricht impose à la Banque centrale européenne l’objectif premier de combattre l’inflation. De plus, la politique financière basée sur le Traité de Maastricht et la réglementation de l’UE au titre du dénommé pacte de croissance et de stabilité est axée essentiellement sur la consolidation des budgets publics. La marge de manœuvre pour stabiliser la tendance économique en contrôlant les revenus et les dépenses, c’est-à-dire au moyen de la dénommée politique budgétaire, est par conséquent fortement réduite. Puisqu’à l’inverse du plan Werner du début des années ’70 il n’existe pas de gouvernement économique européen dans la variante de l’union économique et monétaire de Maastricht, il est de facto impossible de coordonner efficacement la politique budgétaire des États membres dans la zone euro, et encore moins d’obtenir une coordination et une combinaison appropriée de la politique monétaire et budgétaire (« policy mix »). Les faiblesses de cette politique économique sont devenues évidentes dans la zone euro, en particulier après la nouvelle crise économique de 2001. Contrairement aux États-Unis, la BCE et les gouvernements de la zone euro ne combattaient pas activement la stagnation économique entre 2001 et 2005 au travers d’une politique anticyclique.

10. Dans la crise économique mondiale actuelle, qui a des répercussions considérables sur les pays européens, le rayon d’action limité de l’UE s’avère particulièrement flagrant. Bien que l’UE soit une zone économique extrêmement interdépendante dans laquelle les États nations sont rarement en position de mener une politique économique indépendante à court terme, la Commission n’est pas habilitée à prescrire le programme anticyclique requis de toute urgence pour l’ensemble de l’Union. Au lieu de cela, les grands acteurs nationaux– la France et l’Allemagne – s’enlisent dans des querelles stériles sur la portée d’un programme d’incitation et ses instruments, sans que la Commission ait le droit de faire entendre raison à ces États et de leur imposer un programme européen. Contrairement aux États-Unis, l’UE ne dispose que de capacités limitées pour réduire l’ampleur et la durée des crises économiques au moyen d’une action rapide et ciblée.

11. Selon la FSESP, les demandes de réforme suivantes s’expliquent par l’inadéquation de la politique économique actuelle de l’UE :
a) Engagement équivalent de la part de la Banque centrale européenne envers les objectifs de forte croissance économique, de plein emploi et de stabilité monétaire. Les nombreux conflits d’intérêt découlant de cet engagement doivent être acceptés ; ils forcent la BCE à adopter une politique monétaire flexible et à coordonner sa politique avec la politique budgétaire et salariale.

b) À court ou moyen terme, il conviendra de coordonner les politiques nationales à l’échelon de l’UE de façon à ce que le rayon d’action de la politique économique soit utilisé plus efficacement et de manière à obtenir une coordination appropriée entre la politique monétaire européenne et la politique budgétaire européenne. À cette fin, la compétence pourrait être transférée à la Commission, en étroite coopération avec le Conseil Affaires économiques et financières (Ecofin), afin d’ébaucher les grandes lignes de la politique budgétaire des États membres en accord avec leurs configurations économiques respectives (tendance à la consolidation ou à l’expansion).

c) Toutefois, la condition préalable à cette politique est une révision substantielle du pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 1997, qui s’avère bien trop rigide. Le PSC exige que tous les États membres évitent les « déficits publics excessifs » de plus de trois pour cent du produit intérieur brut (PIB). Cette règle, qui figure également dans le Traité de Maastricht, a été renforcée une fois encore en 1997 après le Sommet d’Amsterdam. Même après sa dernière réforme de 2006, le PSC continue de s’opposer à la nécessité d’une politique budgétaire anticyclique. Dans une situation de crise avec un effet boule de neige de la dette publique, les États de l’UE doivent être en mesure de stimuler la demande de façon à renverser cette tendance baissière du marché. À cette fin, les déficits causés par la situation économique doivent être acceptés. Dans les fortes périodes de croissance, les recettes fiscales supplémentaires doivent également être utilisées pour réduire les déficits budgétaires. Toutefois, la limitation des nouvelles dettes ne doit pas être un objectif à suivre de manière dogmatique pendant les phases de croissance, puisque le financement par emprunt des investissements futurs peut être une tâche utile de l’État.

d) Il convient de mettre un terme à la politique du dumping fiscal en s’accordant sur une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés et sur des taux d’imposition européens minimum pour les revenus et les sociétés et en harmonisant les dispositions fiscales.

e) À long terme, cependant, il conviendra d’envisager de transférer davantage de pouvoir décisionnel en matière de politique économique et de politique anticyclique à l’échelon européen. La France réclame cela depuis plusieurs décennies en défendant le concept de gouvernement économique européen. L’objectif serait d’établir une institution chargée de la politique budgétaire de même niveau que la puissante BCE, afin d’aligner la politique monétaire et budgétaire et de mettre en œuvre une politique économique et anticyclique européenne efficace. Cette demande doit être soutenue en principe. La politique budgétaire doit être mieux coordonnée à l’échelon européen. Ceci s’applique en particulier à la zone euro. Toutefois, la coordination de la politique n’est pas une fin en soi. Elle doit être utilisée pour assurer la croissance, l’emploi et la conversion écologique. Le gouvernement économique européen, chargé de mettre en œuvre une politique économique globale, assurerait une croissance qualitative. Il devrait également endosser la responsabilité des tâches communautaires, telles que la construction d’une infrastructure transnationale efficace. Ses propres pouvoirs complémentaires de fiscalité et de financement sont suffisants pour financer ces activités. Une politique économique européenne digne de ce nom dépend de sa propre autonomie financière.

f) Le budget doit être réaffecté au plus tard lors de la prochaine période de programmation (à compter de 2014) :
-* Les priorités du budget doivent être la croissance, l’emploi et les affaires sociales. Afin d’améliorer le secteur social, il est nécessaire de moderniser ou de réorganiser le Fonds social européen (FSE) déjà en place.
-* Celui-ci doit être en mesure d’agir de manière indépendante en dehors de la politique structurelle et être renforcé financièrement. Le Fonds ne doit pas principalement être mis à la disposition des régions les moins favorisées d’un point de vue économique, comme cela a été le cas jusqu’à présent, mais bien de tous ceux qui ont besoin d’un soutien pour combattre des problèmes sur le marché du travail (par exemple un taux de chômage élevé, un faible taux de participation des femmes dans la main-d’œuvre, un nombre élevé de jeunes déscolarisés, un faible taux de formation complémentaire), en d’autres termes pour atteindre les objectifs définis dans le cadre du processus de Lisbonne actuel.

{{3. Coordonner la politique de l’État providence à l’échelon européen}}

12. Dans ce contexte de changement d’idéologie sociale et en raison de divers facteurs tels que le chômage massif, les déficits budgétaires et les changements démographiques, les États providence d’Europe sont également soumis à une forte pression depuis le début des années ’90. Conformément à la philosophie de l’offre, la performance peut être stimulée par le retrait de l’État et en particulier de l’État providence, débridant ainsi les forces de croissance. Tous les pays européens ont ainsi entrepris des réformes des systèmes de santé, de pension et du marché du travail, entraînant une réduction considérable des prestations sociales pour les citoyens. Dans les systèmes de santé, la liste des interventions a été réduite et au même moment, nous avons assisté à une augmentation des paiements supplémentaires et des contributions personnelles des patients. Dans les régimes de retraite, les critères d’éligibilité ont été durcis et les formules de pension modifiées. En conséquence, le niveau relatif des pensions et les taux de remplacement des revenus ont fortement baissé, un processus qui gagnera considérablement en vitesse au cours des prochaines décennies avec les réformes des pensions déjà décidées. En ce qui concerne l’assurance chômage, les périodes d’éligibilité et les taux de remplacement des revenus ont également été réduits. Le chômage de longue durée a connu des réductions particulièrement importantes.

13. La spirale baissière des prestations sociales est aggravée par le système intra-européen d’États concurrents. La réduction des dépenses de la sécurité sociale, qui représentent en moyenne 30% du produit intérieur brut de l’Europe, est censée promouvoir la concurrence et améliorer la compétitivité internationale. Dans les années ’70 et ’80, les dépenses de la sécurité sociale augmentaient plus vite que le produit intérieur brut. Les ratios des prestations sociales, qui mesurent le rapport entre le total des dépenses sociales et les recettes totales d’un État, ont par conséquent augmenté partout. Plus les États étaient riches, plus leurs ratios des prestations sociales étaient élevés et ce rapport était très élevé en termes statistiques (coefficient de détermination de 80%).

14. Depuis les années ‘90, cependant, ce ratio ne cesse de baisser en Europe. Les États présentant un ratio de prestations sociales très élevé au sein de l’Europe, tels que la Suède, le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas, ont procédé à des coupes franches des interventions de l’État providence. Leurs ratios de prestations sociales ont dans certains cas diminués de manière drastique, mais en Scandinavie ils demeurent encore bien supérieurs à la moyenne de l’Europe de l’Ouest. Les économies émergentes qui tentent de rattraper le retard économique, comme celles de l’Irlande et de l’Espagne, ont découplé l’État providence de la croissance économique et ont réduit considérablement leurs ratios. Le même phénomène est observé dans les États d’Europe centrale et de l’Est, en particulier dans les trois États baltes, la Slovaquie et la Pologne. Si les États découplent leurs dépenses sociales de la croissance économique en les réduisant afin de procurer des avantages en termes de concurrence intra-européenne, cela peut être considéré comme une politique de dumping social. Une telle politique présente des risques élevés de contagion. L’on peut donc affirmer qu’en l’absence de coordination des politiques sur la scène européenne, en ce compris dans le domaine des prestations sociales, le dumping social continuera de se propager.

15. Dans un nouveau modèle économique et social européen, la logique du système des États concurrents devrait également être contrée par une politique de re-réglementation au niveau européen. La FSESP appelle donc à la création d’un pacte de stabilité sociale pour les États providence européens, en vertu duquel l’importance de l’État providence ou de ses prestations serait liée au niveau de développement économique des États respectifs. L’on dénombre quatre groupes d’États dans l’UE– mesurés en termes de revenus par habitant. Pour chaque groupe, il convient d’établir une fourchette de prestations sociales. Le groupe des États les plus riches présenterait une fourchette de prestations plus étendue que le groupe des États les plus pauvres. Les pays émergents tentant de rattraper leur retard économique passeraient quant à eux d’une fourchette plus étroite à une fourchette plus étendue.

16. Grâce à ces fourchettes de prestations :
-* L’on mettrait un terme à la politique de dumping social. En conséquence, les pays individuels ne seraient plus à même de se procurer des avantages concurrentiels par le biais d’un ratio de prestations sociales inférieur à la moyenne, puisqu’il serait mesuré par rapport à leurs revenus.
-* Les économies les moins développées ne seraient pas défavorisées par cette forme de régulation de la politique sociale. Elles ne seraient tenues de verser que le niveau de prestations sociales qu’elles peuvent « se permettre » en fonction de leurs revenus.
-* Au cours du processus de rattrapage économique des pays les moins développés, les ratios des prestations sociales dans l’UE convergeraient ; les dépenses pour les indemnités de vieillesse, maladie, incapacité de travail et chômage seraient corrélées non seulement en termes relatifs mais également absolus. Les fourchettes de prestations pour les groupes à faible et moyens revenus augmenteraient.
-* La régulation quantitative de la politique sociale serait initialement limitée à un minimum à l’échelon de l’UE ; aucune disposition ne serait établie pour la redistribution des revenus entre les États membres. Étant donné que seules les valeurs agrégées (ratios des prestations sociales) seraient régulées, l’autonomie des États membres de l’UE au sens du principe de subsidiarité demeurerait intacte en ce qui concerne la distribution des dépenses sociales entre les divers postes bénéficiaires (pensions, maladie, chômage, allocations familiales).

17. L’introduction d’un concept réglementaire de ce type détruirait le régime néo-libéral des États concurrents dans le domaine de la politique sociale. Une politique économique et sociale convergente s’inscrirait parfaitement dans le pacte de stabilité sociale. Les stratégies de dumping, telles que pratiquées par l’Irlande et l’Espagne dans l’ancienne UE et poursuivies dans le groupe des nouveaux États membres tels que les États baltes et la Slovaquie, pourraient ainsi être jugulées dès le début.

{{4. Activer la politique du marché du travail de l’Union européenne}}

18. Pour combattre le chômage en Europe de manière efficace, il convient d’abord et surtout de donner une nouvelle orientation à la politique économique (cf. section 2). Les mesures et réformes structurelles de la politique du marché du travail ne peuvent porter leurs fruits que dans un environnement macroéconomique favorable qui s’attelle à surmonter les faiblesses existantes de la croissance. Afin d’améliorer sa position concurrentielle internationale, l’Europe doit, pour faire face à ses concurrents, miser sur la qualité et non sur la diminution des salaires et des normes sociales. L’Europe doit miser sur ses atouts, à savoir la qualité de ses biens et services, une main-d’oeuvre bien formée et des conditions de travail réglementées et socialement protégées. Par conséquent, les approches positives d’une politique du marché du travail préventive et active doivent revenir au premier plan de la politique du marché du travail de l’UE: des mesures actives de politique du marché du travail sont nécessaires pour intégrer davantage de personnes dans le marché du travail et pour contrer la segmentation du marché du travail.

19. Pour éviter les situations d’ « insécurité », il convient de prendre des initiatives nationales et européennes pour améliorer la situation contractuelle des nouvelles formes d’emploi, afin d’assurer que les emplois atypiques bénéficient des mêmes normes du travail et de la même protection sociale que les conditions d’emploi dites normales et de prévenir la marginalisation croissante due à l’exclusion du marché du travail normal. La protection à l’échelle de l’Europe des conditions de travail atypiques et précaires est essentielle pour prévenir l’érosion ultérieure des normes sociales. Tout cela implique bien évidemment un modèle stratégique de politique du marché du travail axé sur l’amélioration de la qualité du travail en tant que principal objectif. Les marchés du travail peuvent être réglementés de façon à combattre les cas de « précarité » et de « pauvreté » par le biais de meilleures dispositions européennes pour le travail à temps partiel, le travail à la tâche, les heures de travail, la protection contre le licenciement abusif, les règlements en matière de remplacement du salaire en cas de chômage et les mesures du marché du travail préventives et actives.

20. L’emploi transfrontalier et le détachement de travailleurs ne cessent de se développer jusqu’à devenir un domaine clé de la politique sociale européenne. La hausse de la migration, la libre circulation de la main-d’œuvre et la liberté illimitée de fournir des services mettent en péril le modèle social européen si les intérêts et les droits des employés dépendants ne sont pas mis au centre de la politique de l’UE et demeurent le jouet d’une politique de marché intérieur néolibérale. À cet égard, les États membres sont priés, conformément à leurs conventions nationales, d’améliorer les conditions de travail standard et d’éviter de s’y soustraire en usant de formes d’emploi atypiques.

21. La FSESP appelle par conséquent :
• À l’amélioration de la directive européenne sur le temps de travail, qui ne remet pas en question la jurisprudence de la Cour européenne de justice sur le service de garde (= heures de travail), qui limite l’extension de la période de référence aux exceptions contractuelles, met fin à l’érosion de la limite maximale hebdomadaire de travail au travers d’un accord « volontaire » individuel (appelé clause d’opt-out individuelle) et prévoit le droit de changer les heures de travail pour des raisons familiales.
• À la révision de la directive européenne sur le détachement des travailleurs dans le but d’appliquer le principe du lieu de travail de manière cohérente et sans laisser place au moindre doute. Il s’agit donc d’établir légalement les mêmes conditions de travail et de rémunération pour le même travail au même endroit.

{{5. Renforcer les droits sociaux fondamentaux par rapport aux libertés du marché}}

22. Les nombreuses années de discussion sur la Constitution européenne et, après son échec, sur le Traité de Lisbonne, auraient dû permettre la séparation de l’ordre économique et de l’ordre social de l’Europe. Au lieu de cela, ce double système est établi, d’une part, dans la constitution économique européenne néo-libérale et, d’autre part, dans les traditions des États providence nationaux et les mécanismes de protection de la politique sociale des États membres. Toutefois, ce double système n’est pas équilibré. Son déséquilibre provient du fait que lesdites libertés fondamentales, à savoir la « libre » circulation des marchandises, la « liberté » d’établissement, la « liberté » de fournir des services, la « libre » circulation des capitaux, c’est-à-dire les libertés du marché, dominent. Si le Traité de Lisbonne devait entrer en vigueur tel quel, sans amendement, cette situation deviendrait quasi irréversible.

23. Le pathétique choix des mots (« libertés fondamentales ») sert à masquer le fait qu’il ne s’agit pas ici de droits et libertés civiques dans la plus pure tradition des valeurs européennes, mais simplement, de l’aveu général, des simples règles contractuelles et contraignantes pour la dérégulation du marché européen. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne sert à première vue qu’à remédier à cette lacune. En vertu des dispositions générales de l’article 53 de la Charte plaçant lesdites libertés fondamentales, c’est-à-dire celles du marché, sur le même pied que les droits de l’homme, les garanties constitutionnelles des libertés fondamentales sont modifiées en fonction des conditions du marché et perdent par conséquent de leur valeur.

24. La Cour européenne de justice fait figure de pionnier en matière d’extension quasi illimitée et récurrente desdites libertés fondamentales de l’UE aux dépens des principales garanties de la loi constitutionnelle nationale, depuis les changements intervenus au niveau du personnel de la cour avec l’élargissement de l’UE en 2004. Sa jurisprudence place différents niveaux réglementaires en concurrence les uns avec les autres et profite par conséquent de cette concurrence.

25. Les arrêts rendus par la Cour européenne de justice en 2007 dans les affaires Viking et Laval donnent systématiquement la priorité à la liberté d’établissement (Viking) et la liberté de fournir des services (Laval) plutôt qu’au droit de grève et à l’autonomie de la négociation collective, sans qu’aucune justification ne soit fournie par le Traité CE.

26. D’après la Cour européenne de justice, les États membres de l’UE peuvent limiter la liberté de fournir des services et la liberté d’établissement uniquement si cela s’avère justifié par des « raisons impérieuses d’intérêt public ». Chaque grève et chaque convention collective sont examinées par la Cour européenne de justice aux dépens des États membres respectifs, en vertu de sa conception socialement limpide de ce qui constitue une raison « impérieuse ». À cet égard, le contenu social des conventions collectives ne peut avoir un poids décisif puisque l’intérêt des employés n’équivaut nullement à l’intérêt général. Sans être habilitée à le faire par le Traité CE, la Cour européenne de justice décide quelles sont les raisons impérieuses d’intérêt public qui tombent sous sa responsabilité. Le droit de grève et l’autonomie de la négociation collective ne sont pas protégés en soi, mais uniquement invoqués lors de l’examen des « raisons impérieuses d’intérêt public » aux côtés de nombreuses autres considérations et par conséquent ils perdent de leur valeur. Dans l’affaire Viking, la Cour européenne de justice va encore plus loin, allant jusqu’à dire que la dignité humaine devrait être mise sur le même pied que les libertés du marché.

27. Dans l’affaire Rüffert (2008), la législation allemande exigeant de se conformer aux conventions collectives de travail applicables a été considérée par la Cour européenne de justice, contrairement à l’avis de l’Avocat général de la CEJ, comme une violation de la directive sur le détachement des travailleurs, puisqu’elle restreint la liberté de prestation de services.

28. L’arrêt rendu par la CEJ contre la loi luxembourgeoise sur l’hygiène et la sécurité au travail va dans le même sens. Avec une analyse sociopolitique unilatérale de toutes les objections potentielles aux règlements individuels de la loi sur le détachement des travailleurs du Luxembourg, la CEJ montre qu’elle interprète la directive sur les services de manière très large. La CEJ revient à l’époque Bolkestein et dans son interprétation de la directive sur le détachement des travailleurs, elle ignore les améliorations apportées à la version provisoire de la directive sur les services de la Commission, édictées par le Parlement européen.

29. Avec les affaires Viking, Laval, Rüffert et Luxembourg, la CEJ, sans être habilitée à le faire par le droit européen, désire limiter le droit de grève, l’autonomie de la négociation collective et les normes de protection sociale des États membres lorsque ceux-ci sont prioritaires dans la Constitution nationale et donnent lieu à une protection. Ces droits et normes de protection n’ayant jusqu’à présent montré qu’une faible croissance dans de nombreux États d’Europe centrale et de l’Est, les gouvernements respectifs sont encouragés dans leur politique anti-syndicale par la CEJ.

30. La FSESP critique le fait que la CEJ, très certainement l’organe européen présentant le moins de légitimité démocratique et le plus grand manque de transparence, se proclame elle-même comme pionnière et l’organe exécuteur d’un système économique et réglementaire néo-libéral dépourvu dans une large mesure de tout contrôle des droits fondamentaux et qui proclame en conséquence la primauté des libertés du marché sur la réglementation du travail et la réglementation sociale des États membres, voire sur la dignité humaine, et qui doivent de surcroît être alignées sur les libertés du marché. La dernière jurisprudence de la CEJ met la loyauté des travailleurs du cœur de l’Europe à rude épreuve. En conséquence, il convient de mettre fin à ces arrêts. La conformité aux conventions collectives de travail doit demeurer un pilier socio-politique du droit des marchés publics.

31. Le 8ème Congrès de la FSESP appelle :
-* À ce que les instruments juridiques sociopolitiques tels que la directive sur le détachement des travailleurs et les droits (sociaux) fondamentaux tels que le droit de grève, ne soient pas subordonnés aux libertés fondamentales du marché intérieur. Les tensions entre les « libertés fondamentales » et les droits sociaux fondamentaux doivent être résolues en faveur des droits fondamentaux. Les droits sociaux fondamentaux doivent être prioritaires par rapport aux règles de concurrence et aux libertés fondamentales du marché intérieur. Cela doit être rendu juridiquement contraignant par le biais d’ajustements au droit communautaire directement applicable (droit primaire). Il doit également être clairement établi dans les Traités que l’UE n’est pas seulement vouée au progrès économique mais aussi au progrès social.
-* À cet égard, le principe « d’égalité de salaire et de conditions de travail pour un même travail au même endroit » doit être appliqué. La directive sur le détachement des travailleurs doit être amendée de façon à ce que les conditions salariales et de travail des travailleurs détachés – avec l’application du principe de préférence – se conforment, totalement et sans équivoque, au droit du travail et aux conventions collectives du lieu de travail.
-* Une coopération transnationale efficace doit être assurée pour le contrôle efficace des conditions de travail et de salaire des travailleurs détachés (protection du service et application à l’étranger). Des contrôles intérieurs efficaces ne peuvent être contrecarrés par des dispositions juridiques européennes laxistes.
-* La FSESP appelle le Conseil de l’UE à adopter une position en faveur de ces principes dans un avenir proche. Le mouvement syndical européen ne peut accepter et n’acceptera pas la poursuite d’une politique d’intégration européenne sous les auspices du néo-libéralisme, une politique qui menace fondamentalement les intérêts de millions de travailleurs européens. Lors des futurs référendums sur les nouveaux instruments juridiques de l’UE, les syndicats européens se réservent donc le droit d’exprimer un vote négatif et de bloquer tout processus d’unification supplémentaire jusqu’à ce que les droits sociaux fondamentaux deviennent prioritaires par rapport aux « libertés fondamentales » du marché contenues dans le droit primaire de l’UE.

{{6. La FSESP ne souhaite pas «moins d’Europe» mais veut une Europe de plus en plus sociale !}}

32. L’analyse de la Constitution économique et sociale de l’UE et de la jurisprudence de la CEJ a montré que la configuration actuelle de l’Union européenne prépare le terrain pour des violations fondamentales occasionnelles des intérêts des travailleurs dans plusieurs domaines. La perte d’intérêt de la population dans l’UE va de pair avec la perte de confiance des employés dépendants dans la capacité de l’Union européenne à leur accorder une protection sociale. Leur méfiance est due précisément non pas à la « rareté d’informations » sur l’intégration européenne ni même aux vestiges d’un sentiment nationaliste, mais bien à leur expérience personnelle selon laquelle dans son approche actuelle, l’UE promeut le dumping salarial et social et n’est désormais plus en mesure de rétablir le plein emploi.

33. La FSESP critique la tentative de donner une priorité constitutionnelle et par conséquent une perpétuité virtuelle à la politique économique et sociale néo-libérale sous la forme des traités de l’UE. Les traités de l’UE vont bien au-delà de la portée politique des constitutions nationales des États membres. Aucun État membre de l’UE ne possède une constitution établissant la direction de la politique monétaire et budgétaire. Aucun État n’est basé sur un système de fédéralisme compétitif reconnu dans le droit constitutionnel. L’établissement unilatéral des traités de l’UE enfreint les dispositions liées au contenu et les protections sociopolitiques des constitutions de nombreux États membres. Le système des États concurrents avec ses effets négatifs sur les politiques salariales, sociales et fiscales deviendrait quasi immuable avec le Traité de Lisbonne. La FSESP souhaite lutter contre cela.

34. Le scepticisme grandissant de l’UE révèle que les conséquences de la constitution économique et sociale sont accueillies avec un certain malaise par les citoyens. Après l’échec des referendums en France, aux Pays-Bas et en Irlande, l’UE devrait enfin abandonner la politique du « plus ou moins la même chose », se remettre en question et mener un débat social à l’échelle de l’Europe sur l’avenir social de l’Union. Cela permettrait de rédiger un nouveau Traité de l’UE dans lequel l’accent, en termes de contenu de la politique sociale pour laquelle les gouvernements démocratiquement élus des États membres sont responsables, n’est pas orienté pour le faire cadrer avec des résultats préconçus. Il convient de débrider la politique monétaire et budgétaire et laisser place à une politique orientée vers la croissance et l’emploi. S’agissant des politiques salariales, sociales et fiscales, les pratiques de dumping doivent être interdites par une réglementation à l’échelon européen.

35. Notre réponse à la dynamique inhérente au système d’États compétitifs ne s’inspire pas de la formule « Plus d’État nation, moins d’Europe ». Bien au contraire : nous avons besoin de plus d’Europe, mais d’une Europe différente. Toutefois, cela exige un nouveau système réglementaire pour la politique économique et sociale en Europe. En d’autres termes : une politique offrant un avenir au modèle social européen alternatif. Par ailleurs, s’en tenir strictement au néo-libéralisme ne fera que compromettre le processus d’intégration européen et contribuer à un retour au nationalisme et au protectionnisme. Si l’on encourage le dumping salarial, social et fiscal, il n’est guère étonnant que les peuples d’Europe se regardent avec méfiance au lieu de se tendre la main. Un modèle social européen permettrait de rapprocher les différences actuelles. L’aliénation croissante ressentie par les citoyens envers l’idée européenne ne pourra être surmontée que grâce à une Europe sociale et démocratique.

{9 juin 2009}
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