Temps de travail - La Commission pourrait sortir le bâton contre 23 pays.

{{EXCLUSIF}}

Les 25 ministres de l'Emploi et de la Politique sociale seront réunis le 7 novembre à Bruxelles (à partir de 10h), dans un conseil extraordinaire qui aura un seul point à l'ordre du jour : la modification de la directive "temps de travail" pour lequel une délibération publique sera tenue et un accord politique espéré. Après plusieurs échecs consécutifs, un accord est indispensable. De l'avis de tous, c'est la dernière chance d'aboutir à un accord. Des chances très minces d'ailleurs puisque la "clause de révision" sur l'opt-out individuel la dérogation par voie d'accord avec le salarié sur la limite hebdomadaire du temps de travail, prévue par la présidence finlandaise dans son dernier compromis (Europolitique N°3178) n'est pas considérée comme suffisante par des pays comme l'Espagne, l'Italie ou la France. "C'est tout sauf une clause de révision - a confié à Europolitique, un diplomate italien - Elle perpétue sans durée l'opt-out individuel. Ce serait plutôt une clause de renvoi sine die".

S'il n'y a pas d'accord, la proposition sera retirée de l'ordre du jour et la Commission européenne agira contre les Etats membres qui sont en infraction avec la directive 2003/88 sur le temps de travail, telle qu'interprétée par la Cour de justice des CE (voir encadré). Une action qui sera engagée rapidement ; "le temps de formaliser les procédures". Le commissaire européen pour l'Emploi, Vladimir Spidla, l'a confirmé à Europolitique. Cette action est "d'autant plus nécessaire que nous sommes saisis de plusieurs plaintes de citoyens". Rappelons que le médiateur européen a donné un ultimatum à l'autorité européenne jusqu'à fin décembre pour répondre sur le cas d'un médecin allemand dont la plainte n'est pas traitée (Europolitique N°3153). Selon un expert du dossier, cette action pourrait être faite par vagues successives mais serait dirigée en priorité vers les pays en infraction grave, et surtout, « ceux qui ont mis des bâtons dans les roues d'un accord ». Dans la ligne de mire de la Commission, des pays de façon hypocrite, réclament la fin de l'opt-out individuel mais dans les faits « abusent » de toutes les souplesses et pratiquent un « opt-out de fait » comme la Grèce, l'Espagne ou la France qui pourraient ainsi tenir compagnie au Royaume-Uni dans une première vague.

{{23 PAYS EN INFRACTION}}

Selon une première analyse réalisée par les services de la Commission, l'application par les Etats membres de la directive 2003/88 sur le temps du travail est vacillante. 19 pays sont en infraction sur le temps de garde (Autriche, Belgique, Chypre, République tchèque, Allemagne, Danemark, Estonie, Grèce, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Pays-Bas, Pologne, Suède, Slovénie, Slovaquie, Royaume-Uni). 21 pays le sont sur le repos compensateur (Belgique, Chypre, République tchèque, Allemagne, Danemark, Estonie, Grèce, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Lituanie, Lettonie, Malte, Pays-Bas, Portugal, Suède, Slovénie, Slovaquie, Royaume-Uni). 4 pays le sont sur la période de référence (Allemagne, Lituanie, Malte, Pologne). Et 4 pays... sur l'opt-out individuel (Espagne, France, Hongrie, Royaume-Uni).

Seuls le Luxembourg et l'Italie auraient une législation parfaitement conforme. Du moins pour l'instant. Certains changements de législation en Slovaquie et en république Tchèque par exemple pourraient modifier la donne.

{{CE QUE LA COMMISSION REPROCHE}}

Belgique. Pas de définition législative du temps de travail ni du régime applicable au temps de garde. Neutralisation du temps de garde sur le lieu de travail dans plusieurs conventions collectives. Pas de disposition dans la loi (16 mars 1971) sur le repos compensateur en cas de dérogation au repos journalier. Dans le secteur public (loi du 14 décembre 2000), le régime du repos compensateur (dans les 14 jours qui suivent) est contraire à la jurisprudence.

{{Chypre.}} Pas de définition dans la loi (sur le temps de travail de 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 2003) du temps de garde, qui n'est donc pas considéré entièrement comme du temps de travail. Pas de norme législative sur le repos compensateur.

{{République Tchèque.}} Le temps de garde n'est pas considéré comme du temps de travail par le code du travail. Pas de définition au niveau législatif du repos compensateur.

{{Allemagne.}} L'Arbeitszeitgesetz (article 7) permet une dérogation aux limites du temps de travail par convention collective pour le temps de garde (contraire à la directive). En outre, il permet à certaines conventions collectives ultra-dérogatoires de rester en vigueur jusqu'à fin 2006. Repos compensateur dans le mois qui suit. La limite quotidienne de travail existe mais peut être calculée sur une période de six mois (la directive prévoit 4 mois), voire plus par convention collective (sans le limiter à 12 mois comme le prévoit la directive).

{{Danemark.}} Les conventions collectives (voie traditionnelle d'application du droit social européen) ne prévoient pas systématiquement que le temps de garde sur le lieu du travail doit être considéré comme du temps de travail. La loi n'impose pas un délai maximal pour l'octroi du repos compensateur.

{{Estonie.}} La loi sur le temps de travail et les repos prévoit (article 2.1) que le temps de garde est une période de repos, sans distinguer selon la présence du salarié sur le lieu de travail ou non. Pas de disposition au niveau législatif sur le repos compensateur.

{{Grèce.}} Faute de définition législative, des décisions ministérielles imposent dans les hôpitaux publics des gardes qui, totalisées avec le temps de travail normal, « dépassent de beaucoup » la limite des 48 heures. L'octroi du repos compensateur par convention collective, sans encadrement législatif est contraire à la directive.

{{Espagne.}} Si une loi de décembre 2003 (55/03) a mis la législation en conformité avec la jurisprudence (arrêt Simap), cette réforme est limitée au personnel statutaire du secteur de la santé, d'autres secteurs (pénitentiaire, police...) restent en non-conformité. Un repos compensateur est prévu mais sur une base de moyenne hebdomadaire, sur une période de référence.

{{Finlande.}} La loi finlandaise ne distingue pas entre le temps de garde sur le lieu de travail et à domicile ou en un autre lieu. Le repos compensateur peut être pris dans le délai d'un mois (repos journalier) et de trois mois (repos hebdomadaire).

{{France.}} Le système de « périodes d'équivalence » (art. L.212-4 du code du travail), permettant de ne pas prendre en compte certaines « périodes d'inaction » a été condamné par la Cour de justice (arrêt Dellas) et n'est pas conforme à l'objectif de sécurité et santé des travailleurs. Aucune disposition législative ou réglementaire (article D.220-1) ne garantit qu'un repos compensateur suive immédiatement le temps de travail.

{{Hongrie.}} Selon la loi hongroise, le temps de garde avec présence physique sur le lieu du travail n'est pas entièrement considéré du temps de travail. De plus la jurisprudence et la

pratique ont consacré la notion d'astreinte (stand by job), comprenant une part significative d'activité. Le temps du travail est alors augmenté de façon considérable (de 8 à 12 heures de plus par jour, en plus du temps du travail normal). Pas de disposition au niveau législatif sur le repos compensateur.

{{Irlande.}} L'Organisation of Working Act de 1997 contient une définition du temps du travail similaire à celle de la directive. Mais il ne précise pas que le temps de garde est entièrement considéré comme temps de travail, comme le prévoit la jurisprudence. De même, la notion de repos compensateur inscrite n'est pas strictement conforme à la jurisprudence.

{{Lituanie.}} Pas de norme au niveau législatif sur le repos compensateur conforme à la jurisprudence. Dans plusieurs secteurs (agriculture, télécommunications, pêche, transports...), les dérogations sur la période de référence vont au-delà de ce que permet la directive.

{{Lettonie.}} Pas de disposition au niveau législatif sur le repos compensateur conforme à la jurisprudence.

{{Malte.}} La loi 247/2003 ne définit pas le temps de garde, ni ne prévoit le régime applicable. Ce qui génère une incertitude juridique. La loi n'impose pas que le repos compensateur soit garanti dans la période qui suit immédiatement le temps de travail concerné. Période de référence d'un an dans des secteurs (industrie de la transformation, tourisme) prévue par la loi là où elle n'est autorisée que par convention collective.

{{Pays-Bas.}} Les conventions collectives peuvent déroger à la jurisprudence sur le temps de garde. La loi prévoit également des dérogations aux repos journalier et hebdomadaire non conformes à la jurisprudence.

{{Pologne.}} Dans le secteur de la santé, le temps de garde n'est pas pris en compte pour le calcul du temps du travail, même s'il est rémunéré plus généreusement que le temps du travail ordinaire. La période de référence peut être portée à 12 mois par voie législative.

{{Portugal.}} Des dérogations à la période de repos quotidien et hebdomadaire peuvent être accordées par la loi, à condition qu'un repos compensateur soit garanti dans les 90 jours suivants (articles 176, 207, 202 du Code du travail).

{{Suède}}. Bien que la loi sur le temps de travail, modifiée en 1996, prévoit que les conventions collectives ne peuvent réduire le niveau de protection prévu par la directive, les autorités nationales tolèrent, dans la pratique et dans les conventions collectives, que le temps de garde avec présence physique sur le lieu du travail ne soit pas entièrement pris en compte dans le temps du travail. La loi n'impose pas que le repos compensateur soit garanti dans la période qui suit immédiatement le temps de travail concerné.

{{Slovénie.}} Selon la législation spécifique au secteur de la santé, le temps de garde n'est considéré comme du temps de travail que pour les périodes actives. Dans les autres secteurs, règne l'absence de précision, la loi sur les relations de travail (42/02) ne contenant pas de disposition. Le repos compensateur n'est garanti que dans une période de deux mois.

{{Slovaquie.}} Jusqu'à présent, le code du travail slovaque ne considère pas les périodes inactives du temps de garde comme du temps du travail. Le temps de garde est cependant limité à 8 heures par semaines, 36 heures par mois (cette législation serait en cours de modification). La loi n'impose pas que le repos compensateur soit garanti dans la période qui suit immédiatement le temps de travail concerné.

{{Royaume-Uni.}} Les «Working Time Regulations» de 1998, modifiées en 2003, contiennent une définition équivalente à celle de la directive mais n'intègrent pas l'interprétation de la Cour de justice. Si un repos compensateur est prévu, il n'est pas précisé qu'il doive suivre le temps de travail.

{{LES INFRACTIONS SUR L' » OPT OUT »}}

Espagne. L' »opt-out » individuel est permis pour le personnel des centres de santé mais en laissant à ceux-ci le soin d'établir les modalités de l'accord du travailleur. Il prévoit également une période minimale dans laquelle l'accord ne peut être résilié. Ce qui est en contradiction avec la directive «au vu du caractère exceptionnel et dérogatoire» de cette mesure.

France. Par décret (n° 2002-1421 et suivants), il est permis à des travailleurs «sur la base du volontariat» d'avoir «un temps de travail additionnel» au-delà des limites hebdomadaires, mais sans bénéficier des garanties prévues par la directive (article 22 §1 b à e).

Hongrie. L' »opt-out » individuel est permis dans le secteur de la santé. L'accord du travailleur est requis mais sans s'entourer de toutes les garanties prévues par la directive (article 22 §1 b à e).

Royaume-Uni. L'encadrement de l' »opt-out » individuel soulève plusieurs questions. L'obligation de tenir des registres sur les heures prestées a été réduite à l'obligation de tenir des registres de tous les travailleurs ayant signé un accord d'opt-out. Le libre choix n'est pas assuré, la loi et la pratique permettent la signature simultanée de l'accord d'opt-out au même moment que le contrat de travail. Le fait pour le travailleur de ne pas subir de préjudice n'est garanti que par une clause générale et trop vague. Le délai de préavis pour résilier l' »opt-out » (trois mois) est disproportionné.

{{TROIS REGLES NON RESPECTEES}}

Temps de garde. Le temps, même inactif, avec présence physique sur le lieu de travail doit être intégralement pris en compte dans le temps de travail (arrêt Simap 3 octobre 2000, Jaeger 9 septembre 2003, Dellas 1er décembre 2005). La directive ne permet pas de dérogation à la durée maximale hebdomadaire du temps de travail par voie de convention collective.

Repos compensateur. En cas de dérogation aux périodes de repos journalier et hebdomadaire, le repos compensateur doit suivre immédiatement le temps de travail concerné (arrêt Jaeger).

Périodes de référence. La directive actuelle n'autorise des dérogations à la période de référence que dans certains cas : 1° pour les travailleurs mobiles, activités offshore, médecins en formation (pendant la période transitoire) par voie de convention collective ou par la loi ; 2° pour certains postes : cadres dirigeants et autres travailleurs autonomes, travailleurs à bord de navires de pêche en mer.
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Par Nicolas Gros-Verheyde
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